Hector Igarza : « Cuba a toujours été un pays solidaire »
30/10/2014
Blocus, développement économique, relations avec les Etats-Unis, perspectives, solidarité internationale l’Ambassadeur de Cuba en France Hector Igarza parcourt pour la Marseillaise les grands enjeux actuels de l’île.
A la fin du mois d’octobre, l’assemblée générale des Nations-Unies votera une résolution cubaine demandant la levée du blocus américain qui frappe l’île depuis 1962. Qu’en attendez-vous ?
Ce sera la 23e fois que l’assemblée générale aura à se prononcer sur ce régime de sanction qui touche notre pays depuis plus d’un demi-siècle. Au départ, le but de ce blocus était de provoquer la famine sur l’île pour que le peuple cubain se soulève contre son gouvernement révolutionnaire. Toute la communauté internationale nous soutient chaque année, sauf les Etats-Unis et Israël. Je suis certain que ce sera encore un succès cette année.
Quelles sont les conséquences au quotidien de ce blocus sur l’île, dans la vie quotidienne ?
Toute la société est touchée (santé, éducation, culture...) mais également notre politique financière par rapport aux banques qui souhaiteraient avoir des relations avec nous, et nous avec elles. C’est exactement ce qui s’est passé avec la BNP Paribas qui a été sanctionné d’une forte amende par les Etats-Unis pour avoir eu des relations avec Cuba. C'est faux quand les Etats-Unis disent que le blocus est une affaire entre eux et nous car le blocus a un réel pouvoir de nuisance extra-territorial.
Les liens avec les Etats-Unis sont-ils définitivement rompus ?
Non. Nous sommes prêts à discuter avec les Etats-Unis sur des problèmes bilatéraux, mais d’égal à égal, sans sujets tabous. Nous sommes prêts à échanger sur tout, dans le respect de chacun de choisir son système politique. Or, le gouvernement américain conditionne l’ouverture du dialogue par un changement de régime à Cuba, et notamment du système de parti unique. Nous considérons que le parti unique maintient la Révolution, la paix et qu’il est garant de l’unité du peuple. Un système cubain avec 400 partis politiques financés par les Etats-Unis et qui se présenteraient à des élections serait-il plus démocratique ? Je ne le pense pas.
Où en est le plan de réformes économiques et sociales entamé depuis 2013 ?
Il est en cours. Il était indispensable pour maintenir notre économie qui avait souffert de la chute des pays socialistes d’Europe de l’Est et du blocus américain. Cuba avait de gros problèmes économiques car nous sommes un pays du Tiers-Monde dépendant de l’économique mondiale. C’est pour cela que nous avons voulu actualiser notre système économique sans en changer les bases. Nous avons voté en juin dernier une loi favorisant les investissements étrangers. Cela nous aidera à développer sur l’île des secteurs comme l’agro-industrie, le tourisme, la construction. En revanche, nous ne touchons pas à la santé, l’éducation ou les forces armées. Nous avons besoin d’environ 2,5 milliards de dollars par an pour que notre économie puisse avoir une croissance acceptable.
A ce propos, des entreprises françaises s’installent-elles à Cuba ?
Oui bien sûr, il y a environ une vingtaine de groupes français : Accor, Bouygues, Alcatel, Air France, Malongo... qui sont venus s’ajouter à Pernod Ricard qui est à Cuba pour commercialiser le rhum Havana club depuis plus de 20 ans et qui subit avec nous le blocus américain puisque le Havana club est interdit à la vente aux Etats-Unis.
Parmi les réformes, une a porté sur l’immigration en ôtant l’obligation pour les Cubains voulant aller à l’étranger de demander une autorisation de sortie. Un premier bilan a-t-il été tiré ?
La question migratoire a toujours été centrale à Cuba. Grâce à cette loi, tout Cubain peut aller partout dans le monde. C'est après aux pays étrangers à leur donner un visa. Cela permettra à nos concitoyens de connaître différents pays et de comparer. On assiste d’ailleurs à des retours de Cubains immigrés qui, pour être partis illégalement, ne pouvaient pas rentrer à Cuba. Désormais chacun peut entrer et sortir. En fait, cela me fait penser aux paroles de Jean-Paul II lors de sa venue à Cuba en 1998. Il avait demandé que Cuba s’ouvre au monde, mais que le monde s’ouvre aussi à Cuba.
Parmi les batailles politiques que mène Cuba, il y a celle pour les 5 Cubains emprisonnés aux Etats-Unis pour avoir infiltré en Floride des groupes terroristes cubano-américains pour les empêcher de commettre des attentats sur l’île. Où en est l'affaire ?
C’est, avec la fin du blocus, une autre de nos grandes batailles. Sur les cinq, deux ont été libérés : René Gonzalez* et Fernando Gonzalez. Ils sont sortis non pas grâce à des remises de peine mais après avoir purgé toute leur peine. Aucun geste n’a été octroyé par le gouvernement américain. Il en reste toujours trois en prison : Antonio Guerrero, Ramon Labañino et Garardo Hernandez. Un sortira en 2017, un autre en 2024 et Gerardo Hernandez risque de mourir en prison puisqu’il a été condamné à deux perpétuités plus 15 ans !
Heureusement, un fort mouvement de solidarité internationale s’est instauré pour exiger du président Obama qu’il les fasse libérer. Car aujourd’hui, les recours sont épuisés et seul lui peut le faire par un geste politique.
Cuba est connu pour sa politique internationaliste dans le monde. C’est actuellement le cas en Afrique de l’ouest avec le virus Ebola.
C’est l’histoire de la révolution cubaine. Nous l’avons toujours fait. Nous avons reçu et nous avons donné sans rien demander en retour. Concernant Ebola, plus de 460 médecins sont partis en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Ce qui fait de Cuba le pays ayant envoyé le plus de personnel médical sur place. Des milliers de médecins cubains ont été envoyés dans le monde depuis 1959. En dépit du blocus, si on peut aujourd’hui envoyer autant de médecins en Afrique, c’est que la solidarité envers les pays du Tiers-Monde est plus importante que tout pour nous. Car Cuba a toujours été un pays solidaire.
Entretien réalisé par Sébastien Madau pour la Marseillaise
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